Root : que d’agitation dans cette forêt !

Quelques jours plus tôt, lors de mon article sur les 12h du jeu, j’avais évoqué une sortie à venir prochainement chez nous que j’attendais avec une rare impatience en matière de jeu de société : Root. Je vous avais alors annoncé que j’aurais probablement l’occasion d’en parler plus avant rapidement. Cette fois, ça y est, j’ai enfin eu l’opportunité d’essayer le jeu dans sa version anglophone originale, de nouveau grâce au Meeple Café. J’ai même pu m’y frotter dans sa configuration idéale, à 4, grâce à mes 3 compagnon(ne)s que j’ai pu embarquer dans cette aventure, merci encore à vous.

Oui, on peut véritablement parler d’une aventure lorsque l’on évoque Root, puisqu’il repose sur un principe encore relativement rare dans le milieu : chaque joueur va participer d’une manière totalement différente à celle des autres au jeu. Autrement dit, il s’agit d’une jouabilité asymétrique poussée à son paroxysme. Une expérience exigeante, mais aussi terriblement stimulante. Bon, avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que nous n’avons pas pu aller jusqu’au bout de la partie, le bar devant fermer avant. Alors ne voyez pas ce retour comme un avis éclairé et définitif sur le jeu, mais plutôt une nouvelle fois une présentation à chaud, suite à une première approche, comme j’ai pu précédemment le faire sur DinoGenics par exemple.
Rassurez-vous, ce que j’ai pu voir du jeu jusqu’à maintenant me permet cependant de pouvoir en faire une présentation globale afin de vous expliquer de quoi il retourne. D’ailleurs, loin de moi l’idée de rentrer dans une explication détaillée de toutes les règles, ce serait bien trop long. Je vais plutôt m’atteler ici à vous montrer l’essence du jeu. Tiens, d’ailleurs, j’en profite également pour saluer l’excellent travail de la chaîne Youtube Jean-Michel Grosjeu qui a conçu une série de vidéo présentant tous ses aspects avec une pédagogie qui force le respect, ce qui m’a permis de me lancer à mon tour dans l’explication des règles avec bien plus d’assurance que si j’avais dû les découvrir à la lecture du livret.

Après cette longue introduction, il est temps d’entrer dans le vif du sujet. C’est quoi, Root ? Conçu par Cole Wehrle et illustré par Kyle Ferrin, il s’agit donc d’un jeu de stratégie asymétrique, jouable initialement de 2 à 4 joueurs, et même de 1 à 6 avec son extension. Bonne nouvelle, la version française du jeu orchestrée par Matagot et prévue pour le mois de mai intégrera directement celle-ci dans la boîte de base.
Côté contexte, les joueurs vont incarner différents camps adverses d’animaux afin de lutter pour le contrôle de la forêt. Plus prosaïquement, le premier à atteindre 30 points de victoire gagne la partie (bien que des conditions de victoire alternatives puissent apparaître en cours de jeu).
Les interactions entre les joueurs s’effectueront donc sur le plateau centrale, la forêt, constituée de 12 clairières, reliées par des chemins que les troupes pourront emprunter pour se déplacer, en respectant généralement une règle de contrôle de la zone de départ ou d’arrivée. Elles auront également la possibilité d’initier des combats (résolus via le lancer de 2 dés 12 faces numérotés de 0 à 3), afin d’éliminer les soldats et pièces adverses présents sur la clairière concernée, avec gain de points dans le second cas.
De plus, un paquet de 54 cartes sera commun à tous, celles-ci permettront notamment de fabriquer des objets afin là encore de gagner des points ou bien des capacités permanentes, pour peu que les joueurs disposent des lieux de production nécessaires. Par ailleurs, les clairières sont habitées par 3 races, les lapins (en jaune), les souris (en orange) et les renards (en rouge). On retrouve celles-ci dans les cartes, ainsi qu’une 4ème couleur. En effet, il existe aussi les oiseaux, qui ne sont liés à aucune clairière, et constituent des cartes jokers, pouvant remplacer toutes les autres lorsque nécessaire.

Voilà, vous trouvez ci-dessus les règles communes à l’ensemble des belligérants. Pour le reste, que ce soit la manière de construire leur moteur afin d’engranger des points, d’effectuer leur tour de jeu, ou plus prosaïquement leur positionnement en début de partie ainsi que le nombre de soldats à leur disposition, tout cela diffère pour chacun des camps. Alors, il est temps de vous présenter les 4 disponibles dans le jeu de base. Ce sont ceux que nous avons utilisés dans notre partie de découverte, et ce dans leur ordre de tour de jeu.

Une configuration de début de partie sur le plateau central

La Marquise de Cat :

Ses troupes ont réussi à nouvellement prendre le contrôle de la forêt, reléguant les anciens seigneurs à un coin de la carte. Son objectif est simple : protéger au maximum ses positions afin de pouvoir construire le plus de bâtiments dans les clairières. Cela permet à la fois d’augmenter ses possibilités, mais aussi de marquer facilement des points. Afin de pouvoir procéder à ces constructions, il est nécessaire de s’assurer que l’on puisse apporter les ressources de bois requises, produites dans des scieries, jusqu’à la clairière concernée. Ce qui pourra devenir problématique quand les chats commenceront à perdre la domination de nombreux territoires. Ses 2 autres types de bâtiments sont les ateliers de production, afin de fabriquer des cartes, ainsi que les centres de recrutement, pour former plus de troupes.

Il s’agit du personnage dont les règles sont les plus rapides à saisir, avec un accès à toutes ses actions dès le début du jeu, et qui dépend le moins de l’utilisation des cartes. Elle part avec un bel avantage en début de partie, puisqu’elle contrôle 11 clairières sur les 12. En contrepartie, elle gagne potentiellement moins en puissance au fur et à mesure du jeu que ses 2 principaux adversaires. Cependant, grâce au pouvoir de son hôpital, la marquise est la seule à pouvoir rapatrier des troupes plutôt que les perdre en cas de défaite, pour peu qu’elle dispose des cartes nécessaires.

Les Eyries :

Ces rapaces étaient les anciens maîtres des bois, mais ne contrôlent plus qu’un seul territoire en début de partie suite à l’invasion des chats, avec une jolie levée de troupes initiale. Leur objectif est simple : reprendre possession du plus grand nombre de territoires possibles en y installant de nouveau leurs aires. Plus ils en auront réinstallés sur le plateau, plus ils gagneront de points à chaque tour. À ce titre, il s’agit du seul camp capable de gagner automatiquement des points de manière régulière. Il s’agit clairement du camp le plus agressif de la partie, qui doit sans cesse aller de l’avant.

Les Eyries répondent aux ordres d’un chef, choisi parmi 4 différents, qui va proposer un programme (le décret) qu’il faudra nécessairement suivre sous peine de plonger en crise politique. Concrètement, à l’arrivée d’un nouveau dirigeant, celui-ci dispose uniquement de 2 cartes vizirs, placés chacun sur un type d’action. À chaque tour, le joueur a obligation d’ajouter une ou deux cartes de sa main au décret. Il pourra donc effectuer un nombre d’actions de plus en plus élevé. Là où les choses se compliquent, c’est qu’il est impossible de retirer une carte du décret. Celui-ci devient alors de plus en plus lourd au fur et à mesure, d’autant que l’ordre de ses actions est immuable. Dès qu’il est impossible de réaliser l’une d’entre elle, la crise éclate. Dans ce cas, le joueur va perdre des points (seule situation du jeu où la perte de point est possible), retirer de son décret toutes les cartes hors vizir, et choisir un nouveau dirigeant avant de mettre fin à son tour. Ce camp demande donc une grande organisation, et peut potentiellement devenir très puissant… jusqu’à la déchéance, exigeant de reconstruire tout un programme, en plus d’éponger la perte de points.

Le plateau des Eyries

L’alliance de la forêt :

Face aux chats et aux rapaces, une rébellion commence à se mettre en place dans les petits peuples des clairières afin de recouvrer la liberté. L’alliance est totalement absente du plateau au début du jeu, et apparaîtra simplement à travers la population sylvestre avant d’éclater au grand jour. Leur jouabilité repose sur l’utilisation des partisans et de la sympathie du peuple. Les partisans constituent un tas de cartes indépendant de celui que le joueur possède dans sa main. En les utilisant, l’alliance va pouvoir ajouter des jetons sympathie sur les clairières,afin de gagner de plus en plus de points. Cependant, ils ne peuvent mobiliser des troupes pour se protéger au début de la partie, et sont donc initialement particulièrement faibles.

Toutefois, en tant que représentants des peuples de la forêt, ils disposent du système d’outrage : dès qu’un adversaire attaque un jeton sympathie, ou se déplace sur une clairière dotée d’un tel jeton, le joueur de l’alliance va récupérer une carte pour son paquet de partisans, en dehors de son tour. L’empêcher de se développer tend donc à lui apporter plus de sympathisants, ce qui peut lui permettre de revenir plus fort. À force de gagner de la sympathie auprès des populations, l’alliance pourra même déclencher une révolte. Il supprime toutes les pièces adverses sur la zone concernée, avant d’installer une base d’opération. C’est à ce moment-là que les premiers soldats rebelles apparaîtront, ainsi que le premier officier. Les officiers permettent aux rebelles d’effectuer des actions supplémentaires, que ce soit des attaques, ou bien un moyen facilité d’ajouter des jetons sympathie sur le plateau. L’alliance est le camp le plus faible au début du jeu, et doit agir finement afin de gagner en puissance en profitant du conflit entre les chats et les rapaces. Leurs troupes sont beaucoup moins nombreuses, mais bénéficient de la meilleure défense du jeu.

Le plateau de l’alliance

Le vagabond :

Le personnage le plus atypique du jeu. À la différence de ses adversaires, le vagabond est seul : il est l’unique pion de son camp. De plus, il n’est pas considéré comme un soldat, et ne peut jamais être supprimé du plateau. D’ailleurs, initialement, il se fiche éperdument des conflits qui règnent dans la forêt. Pendant que les autres joueurs se livrent à un jeu de stratégie, lui il vit dans son monde de jeu de rôle. Et c’est véritablement le cas. Il est le seul à utiliser des objets qui constituent son équipement, et à pouvoir accomplir des quêtes afin de gagner des points. D’ailleurs, ses objets sont le cœur de son gameplay. Sans eux, il ne peut effectuer aucune de ses actions. Une fois qu’un objet a été utilisé, il ne peut plus l’être de nouveau tant qu’il n’aura pas été rafraîchi au début d’un prochain tour.

En revanche, le vagabond n’est pas le plus doué pour créer les objets dont il a tant besoin. Ce n’est pas grave, car en plus des quêtes, sa deuxième spécificité est de pouvoir interagir de manière pacifique avec les autres joueurs. En échange de cartes, il va non seulement potentiellement pouvoir récupérer des objets fabriqués par d’autres, mais également gagner des points de victoire dans l’opération. Ceci pourra même éventuellement mener jusqu’à une alliance avec un autre camp. Dans un tel cas, il aura la possibilité de déplacer et d’utiliser les troupes de son allié pour ses propres combats. À ce propos, puisqu’il ne peut pas être éliminé, s’il subit des dégâts dans un conflit, il a l’obligation de casser un de ses objets, qui encombrera inutilement sa besace tant qu’il n’aura pas été réparé. Sans compter que celle-ci n’a pas une capacité de stockage illimitée. Cerise sur le gâteau, il n’existe pas un vagabond, mais 6 différents, chacun avec des objets initiaux ainsi qu’un pouvoir unique : au joueur de choisir celui qu’il veut incarner pour la partie.

Le plateau du vagabond

Enfin, vous avez eu un aperçu assez complet de la manière de jouer de chaque camp. Là où le jeu fait très fort, c’est qu’au-delà de ses superbes illustrations dignes d’une bande dessinée et qui accrochent l’œil immédiatement avec ses animaux irrésistibles, il réussit parfaitement à raconter l’histoire d’un territoire en période de conflit, avec ses différents acteurs. Le nouveau conquérant essaie d’assurer ses positions tout en tâchant d’exploiter au maximum ses nouvelles terres, pendant que les anciens dirigeants sous un régime politique différent tentent de reconquérir leurs possessions perdues. Au sein du peuple pris dans ces tourments va alors naître un mouvement de résistance, plus ou moins pacifique, qui sera rapidement amené à avoir recours à la force armée. Et au milieu de tout cela, certains tentent simplement de faire leurs affaires, en se moquant bien de qui peut être leurs interlocuteurs, tant que cela sert leurs intérêts. J’ai récemment lu que le créateur du jeu s’était initialement inspiré des conflits en Afghanistan pour concevoir son projet. Ce qui offre au jeu cette richesse et cette variété si engageantes. Cependant l’idée de génie à mes yeux aura été de réussir à s’éloigner de ce contexte initial afin de le transposer dans un univers anthropomorphe, digne des fables et des contes, ce qui le rend à la fois attirant pour un plus large public, mais aussi bien plus universel dans ce qu’il cherche à nous raconter.

Root, qui a récemment été récompensé comme Game of the year 2018 par le site anglophone de référence BoardGameGeek, est un jeu assez complexe. Sans être insurmontable, il ne conviendra vraisemblablement pas à un public peu habitué au monde ludique. Afin de pouvoir y jouer correctement, il faut bien évidemment comprendre comment fonctionnent les règles de son camp, mais aussi celles de ses adversaires, afin de savoir comment agir, mais aussi contrer. D’ailleurs, l’explication des règles m’aura bien pris plus d’une heure.
Cette première partie nous aura permis de concrètement saisir les tendances et les rythmes de jeu de chaque belligérant, puisqu’ils sont si différents. Cette asymétrie qui fait le cœur du jeu couplée à son superbe matériel (je ne peux pas résister au design de ses pions en bois) donnent immédiatement envie de faire plusieurs parties, pour pouvoir vivre tous les rôles, essayer différentes configurations, explorer toutes les possibilités.
Sans oublier que l’édition française qui paraît le mois prochain proposera également directement les 2 factions supplémentaires que sont le culte des lézards et la compagnie fluviale des loutres, les premiers spécialisés dans la propagation de leur religion, les seconds sur le développement du commerce.
Vous l’avez compris, j’ai très envie d’y rejouer (et pourtant, incarnant l’Alliance, j’étais bon dernier sur la piste des scores lorsque nous avons arrêté), et si je me fie à nos échanges avec mes amis, eux aussi semblent avoir été conquis. Car il semble qu’une autre qualité du jeu soit celle de donner envie de continuer à parler de lui une fois la partie terminée, ce dont on n’ira certainement pas se plaindre.

Les pions sont irrésistibles

Il y a quelques semaines, ma découverte d’Everdell m’avait convaincu de le retirer de mes projets d’achat, malgré sa jolie édition et ses qualités. En ce qui concerne Root, désormais, bien que sa boîte constitue un budget bien plus élevé que celui que j’accorde généralement à l’acquisition d’un jeu, je songe très sérieusement à sauter le pas, et me faire ce beau cadeau. Lui qui réussit si bien à me parler de par son fond comme sa forme, et promet une grande variété ludique.

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