Me voici avec mon cahier et mon stylo posés sur une table d’un salon de thé de Bordeaux, dans l’attente de mon train qui me ramènera ce soir à Paris, après un week-end passé dans la capitale de l’Aquitaine. En ce lundi, j’avais initialement prévu d’aller à la découverte du Muséum d’Histoire Naturelle de la ville, fraîchement rénové. Étourdi que je fus, je n’avais bien sûr pas vérifié suffisamment tôt que le musée n’était pas fermé le premier jour de la semaine. Il m’a donc fallu revoir mes plans pour l’après-midi.
En heureux détenteur de la carte UGC, je me suis donc rabattu sur une séance de cinéma. Arrivé devant le complexe, il me restait à choisir parmi les premières séances à venir. Coup de chance : il ne restait que 3 minutes avant le début de la projection de 1917, que je n’avais toujours pas vu jusqu’alors.
Et nous voici donc maintenant, peu après ma sortie de cette séance, sans oublier un passage obligatoire par le marchand de cannelé. Puisqu’il me reste largement le temps, assis sur ma chaise à siroter un thé blanc aux fruits rouges accompagné d’une part de flan pâtissier, pourquoi ne pas en profiter pour vous donner mon avis sur le film, à brûle-pourpoint ? Après tout, j’avais initialement prévu de vous proposer un article suite à chacune de mes séances cette année. Je dois aller à confesse : une dizaine de jours plus tôt, j’étais allé voir Jojo Rabbit, le film de la nouvelle coqueluche hollywoodienne, Taika Waititi. Soit l’histoire tragi-comique d’un jeune allemand endoctriné par les Jeunesses hitlériennes peu avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, dont l’ami imaginaire n’est autre qu’Hitler lui-même, interprété par le réalisateur de l’œuvre. Malheureusement, ma critique de celui-ci n’est resté jusque là qu’au niveau de l’ébauche, d’idées couchées sur ce cahier. Alors, rattrapons-nous avec ce nouveau film en guise de compensation.

Vous serez sans doute nombreux à en avoir entendu parler, peut-être même à l’avoir déjà vu, puisqu’il s’agit d’un grand succès de ce début d’année, à l’affiche depuis le 15 janvier. La raison ? La prouesse technique de proposer presque 2 heures de film de guerre tourné en un seul grand plan séquence, comme l’avait déjà été quelques années auparavant le film Birdman, du réalisateur Alejandro González Iñárritu. À la différence de ce prédécesseur, l’exercice paraît ici plus naturel, et ce pour plusieurs raisons : du fait d’un très grand nombre de scènes tournées en extérieur, mais aussi grâce à une trame se déroulant sur une période plus resserrée : moins de 24h.
Et surtout, de par son synopsis, une incessante course en avant. Les deux soldats anglais que l’on suit (George MacKay et Dean-Charles Chapman) se voient en effet confier la mission capitale de délivrer un ordre officiel à travers les lignes ennemies afin de faire annuler un assaut qui mènerait à une hécatombe suite à un piège tendu par les troupes allemandes. En suivant ce parcours perclus de périls, Mendes nous donne à voir de manière viscérale toute l’horreur de la Grande Guerre, comme peu de films ont pu le faire. Notamment pendant le premier tiers du film, lors du passage à travers le no man’s land entre les deux lignes de front : paysage de désolation où se multiplient les cadavres humains ou animaux affreusement mutilés ou décomposés, cratères d’obus emplis d’une eau poisseuse, nuées de rats et de corbeaux… La guerre est un désastre, duquel la bande originale oppressante ne fait que renforcer le sentiment de malaise et de peur pour la survie de nos protagonistes.

Je n’en dévoilerai pas plus ici sur le développement de l’histoire. En revanche, dois-je souligner le nombre de lieux différents traversés, bien souvent source d’immense tension et de danger. Mention toute spéciale à la vision nocturne d’un village dévasté illuminé par des lumières semblant venir de nulle part (probablement des fusées éclairantes ainsi que des projecteurs d’avion). Un jeu d’ombre et d’illuminations comme j’en ai rarement vu à l’écran, telle une sorte d’Enfer de Dante devenu réalité. Sans aucun doute, le passage le plus esthétiquement réussi du film.
En marge de ces horreurs, quelques passages au détour de rencontres inattendues permettent un peu de répit, toujours trop court, tant le temps presse, avant de repartir accomplir un objectif qui ne peut souffrir l’échec. Pour autant, 1917 reste une œuvre dure, qui ne fait jamais le choix de traiter son sujet à travers le trait grossissant du ridicule comme le fait Jojo Rabbit.
C’est peut être de cette extrême dureté que naît son plus gros travers, en ne nous offrant des soldats allemands que l’image de barbares sordides. Aucun d’entre eux ne semble jamais faire preuve d’humanité ou bien remettre en question les impitoyables ordres de leurs supérieurs. À la différence des anglais évidemment, pour leur plus grande valorisation. Un manque de nuance qui ne lui permet pas d’atteindre le rang de chef d’œuvre à mes yeux.
Il n’en reste pas moins une prouesse de réalisation, le remarquable travail sur l’ambiance et les décors, et évidemment cette scène d’une terrifiante beauté évoquée plus haut, qui pourrait suffire à elle seule pour justifier le visionnage de 1917, en salle de préférence !